Article publié le
24/5/2023
Patrimoine culinaire

Le boudin, une tradition culinaire oubliée?

Tout laisse croire que la consommation du sang est un usage préhistorique présent dans plusieurs cultures. Même si on retrouve chez Apicius, (trois siècles après JC) des recettes de boudin qui s'avéraient plutôt ressembler à des saucisses faites à partir de viande. La première recette de « vrai boudin » au sang cuit est celle du Mesnagiers de Paris, un des tous premiers livres de recettes françaises, datant des années plus ou moins 1393. 

boudin noir quebec

Pourtant certaines indications laissent croire que le boudin, dont l’étymologie est gros, gonflé, est un legs plus ancien dont le nom est d’origine celte sans qu’on en retrouve d’équivalent dans d’autres langues. Consommé en Grèce, mangé avec délectation par les Romains, le boudin, dont les Gaulois se régalaient aussi, s’est ainsi largement installé en France et plus largement en Europe. Il semble même avoir influencé les anglais puisque en Angleterre le boudin, prononcé, « boudine » devint par modifications successives: pudding. Les Anglais appellent le boudin le black pudding!

Le porc débarqua au Québec presque en même temps que le sieur de Champlain qui en fit l’élevage au Cap tourmente. Très vite le boudin fut un de ces régals des Habitants, régal qui se prépare à la veille de l’hiver. Les campagnes du Québec en avaient fait une tradition largement répandue avant même l’arrivée des Anglais. 

Le boudin fait donc partie du patrimoine culinaire québécois et on peut d’ailleurs s’étonner qu’il soit si peu consommé aujourd’hui. Comment expliquer cet oubli collectif ? Nos livres de cuisine les plus anciens offrait des recettes de sa fabrication à sa cuisine. Pourtant, depuis le début des années 1970, le boudin semble n’être devenu qu’un souvenir. Les causes en sont multiples. 

D’abord, il faut y voir l’effet indéniable d’un hygiénisme qui peu à peu  a éliminé ce qui au premier abord peut sembler source de contamination et maladie. Les gros abattoirs, par ailleurs, se débarrassent du sang de porc allègrement dans les égouts car le récupérer couterait trop cher ! 

Ensuite, en Amérique du Nord, ce gaspillage alimentaire s’explique par la considération d’une consommation de viande exclusivement basée sur le muscle. Exit les abats, ces parties molles du foie à la cervelle en passant par le cœur et les tripes, pourtant respectées et consommées partout ailleurs dans le monde. 

Enfin, il y a le manque de savoir-faire. Faute de transmission de connaissances, bouchers et charcutiers ont contribué à tarir l’offre de boudin sur le marché. 

Aujourd’hui pourtant, le vent tourne. Au Québec, de plus en plus de boucheries, charcuteries et de chefs avisés remettent en question non seulement ce gaspillage alimentaire et nutritionnel puisque le boudin noir est un produit aux vertus nutritives incontestées.

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Les secrets de la bonne cuisine, Sœur Sainte-Marie Édith, École ménagère de Montréal, 1928, p.75

Le saviez-vous : Boucherville, jumelé avec la ville de Mortagne-en-Perche en Normandie, capitale du boudin en France. C’est d’ailleurs de cette ville dont est originaire Pierre Boucher qui a donné son nom à la ville de Boucher-ville ! 

C’est dans ce contexte qu’en 2018 à été fondée l'Association Québécoise du Goûte-Boudin de Boucherville (AQGBB). Cet OBNL organise chaque année un concours du meilleur boudin artisanal du Québec. Une mission qui, on l’espère, contribuera à renouer avec une tradition culinaire enracinée depuis des siècles.

Jean-Pierre Lemasson est historien de l’alimentation québécoise. Professeur, il a fondé à l’UQAM le premier programme universitaire consacré aux études alimentaires sous l’angle de la gestion et des sciences sociales. Il est reconnu pour ses livres sur l’histoire des plats emblématiques québécois comme le pâté chinois, sur la tourtière ou encore sur le porc. Dégustez ses récits sur le patrimoine culinaire.