Article publié le
7/5/2021
Portraits

L’agriculture régénératrice: produire et redonner vie aux sols

Face à des problèmes environnementaux d’envergure planétaire qui menacent nos écosystèmes et requièrent des solutions toutes aussi grandioses. L’agriculture régénératrice, ou régénérative, se présente comme une approche holistique pour atténuer les changements climatiques. Afin de mieux comprendre les pratiques régénératrices de ce mouvement, nous sommes parties à la rencontre d’Antonious Petro, co-directeur de Régénération Canada. À la découverte de la régénération et des défis à relever afin de promouvoir une agriculture saine à grande échelle.

À la rencontre d’Antonious Petro, co-directeur de Régénération Canada

« On est trois co-directrices et co-directeurs avec mes collègues. C’est une structure qu’on a choisie et sur laquelle on a beaucoup travaillé afin d'être cohérent avec notre vision d’une société e d'une agriculture régénératrice. On essaye vraiment d’abolir ou d’effacer toute sorte de hiérarchie dans notre organisme », explique Antonious Petro. Il est co-directeur de Régénération Canada, un organisme à but non-lucratif qui promeut la régénération de la santé des sols pour l’atténuation des changements climatiques, pour restaurer la biodiversité et pour rétablir un système alimentaire sain. Ce sont Gabrielle Bastien, fondatrice de l’organisme, et Sarah Barsalou qui complètent le trio à la direction de Régénération Canada.

La vocation d'Antonious Petro pour les sciences du sol et l'agriculture.

C’est dans un pays au climat chaud qu’Antonious a grandi. Il y cultivait du coton, de l’ail, du maïs et autres produits issus de la terre au gré des saisons. «Il est arrivé un moment dans ma vie où la terre ne donnait plus et moi je ne comprenais pas.» C’est à l’âge de dix-huit ans, alors qu’il travaillait avec son père, qu'Antonious a décidé de se distancer du travail de la terre afin de poursuivre des études en sciences puis en politique.

«Quand j’ai émigré ici au Canada, il y a peut-être huit ou neuf ans, j’ai juste essayé de rétablir ce lien là avec la terre que j’avais quand j’étais petit ou adolescent.» La passion d’Antonious pour les sciences du sol l’a piqué au cours d’un séjour au Mexique alors qu’il suivait un cours de permaculture. «On a commencé à parler de sols et de la biologie de sols. C’est là que j’ai eu mon moment de déclic. Je me suis dit que le restant de ma vie, je voulais me consacrer à comprendre et à faire de la sensibilisation, de l’éducation par rapport à l’importance de la santé des sols donc il fallait que je commence par moi-même.» 

Poursuivant aujourd’hui une maîtrise en sciences du sol, Antonious regarde sous plusieurs lentilles comment le sol nous fournit d’innombrables services écosystémiques. Et constitue une solution souvent négligée pour l’atténuation de changements climatiques et l’instauration d’un système agro-alimentaire sain, juste et abondant. C’est au sein de Régénération Canada qu'Antonious, responsable de l’éducation, des sciences et de l’engagement des producteurs et productrices agricoles, met ses connaissances en sciences et en biologie au service d’une vision. « Au-delà de nourrir le monde, comment faire de l’agriculture une solution face à la crise climatique ? »

«L’agriculture régénératrice est un processus qui vise à penser à la production végétale et aux écosystèmes d’une façon holistique […] Ce sont des principes et des pratiques qui visent à régénérer la santé des sols pour les services écosystémiques qu’on a perdus.» Antonious Petro, Régénération Canada

L’approche de Régénération Canada : un écosystème global de communautés saines et prospères.

«On a décidé de prendre une approche vraiment interdisciplinaire. On a nos producteurs et productrices au centre des activités. À ça on adresse toutes les autres parties prenantes impliquées dans le système agro-alimentaire qu’on peut assumer qui sont les scientifiques, les décideurs publics, les étudiants, les grosses corporations et monsieur et madame tout-le-monde. Afin qu'on se mette tous autour de la table, pour que le consommateur comprenne la réalité des fermiers. Pour que les décideurs publics comprennent les besoins des consommateurs alignés avec les pratiques des agriculteurs et agricultrices.» 

Régénération Canada crée de l’espace pour des communautés qui, autrement, n’auraient pas leur place à cette table. «C’est quelque chose qui nous tient vraiment à cœur» ajoute Antonious alors qu’il accentue la nécessité d’inclure les communautés moins privilégiées dans ces discussions qui nous concernent tous. «On ne peut pas parler de régénération de l’écosystème et des sols sans dire que ces terres-là ont été dépossédées de ces communautés autochtones depuis longtemps.»

«L’agriculture régénératrice pour nous ce n’est pas un changement, c’est un processus de transition.» Antonious Petro, Régénération Canada

Régénération Canada est un organisme à but non-lucratif dédié à promouvoir la régénération de la santé des sols afin d’atténuer les changements climatiques, de restaurer la biodiversité, d’améliorer les cycles de l’eau et de soutenir un système alimentaire sain.
Nous veillons à atteindre cet objectif en créant des espaces d’apprentissage et d’échange inspirant agriculteurs, propriétaires fonciers, scientifiques, agronomes, entreprises, organismes communautaires, gouvernements et citoyens à prendre action pour régénérer les sols.

www.regenerationcanada.org

Une stratégie globale pour promouvoir la régénération de la santé des sols.

C’est donc sous une approche holistique et ouverte à l’inclusion de toutes les parties prenantes du système agro-alimentaire que Régénération Canada organise ses opérations axées sur trois grandes stratégies: la sensibilisation, l’éducation et la mise en réseau. 

Du côté de la sensibilisation, l’organisme a établi une forte présence en ligne afin de passer des messages clairs et faciles à digérer sans toutefois compromettre leur intégrité scientifique. 

En éducation, au cours de divers ateliers, l’organisme pancanadien travaille tant avec des agriculteurs qui cultivent moins d’une acre que des fermiers qui gèrent plus de 10,000 acres.

En ce qui concerne la mise en réseau, «c’est présent dans toutes nos initiatives» explique Antonious. Il donne comme exemple le Symposium Sols Vivants qui rassemble des centaines de participants venant de partout au Canada et même d’autres pays. Non seulement pour partager leurs connaissances en matière de régénération mais aussi afin de déterminer «ce que ça prend pour la société pour que l’agriculture régénératrice devienne la norme.» 

Symposium Sols Vivants édition 2019 - Crédit Parafilms

Mettre en lien les citoyens avec des agriculteurs qui intègrent des pratiques régénératrices.

Découvrez la carte des fermes régénératrices au Canada. Elle permet de voir l'étendue du réseau qu'a réussi à établir Régénération Canada. Cette carte démontre le lien entre le consommateur qui cherche à s’approvisionner de produits issus de l’agriculture régénératrice chez ceux et celles qui le font sur leur terrain. On perçoit aussi le lien entre les producteurs qui œuvrent pour apprendre de leurs pairs.

La carte des fermes génératrices au Canada

Le défi de faire de l'utilisation de l'agriculture régénératrice une norme.

Les barrières, il n’en manque pas. Nous, on a choisi quand même de baser tout notre travail et nos approches sur la solution. Bien qu’on soit conscient que ça prend parfois du militantisme. Ca prend parfois du lobbying. Parfois de l’éducation pure. Nous, notre approche c’est de dire le problème d’est-ce que la terre est rentable dans la culture au Canada. Ça va vraiment au-delà des différences individuelles. Comme est-ce que le bio est meilleur, est-ce que c’est vraiment meilleur. Les sciences, on sait ce qui est bien et ce qui n’est pas bien. Nous, on a choisi de nous focaliser vraiment sur les solutions. Ok, bien; tu as fait quelque chose, bravo, mais il y en d’autres à faire et voici comment on peut le faire. 

Donc on est allé un peu loin. Est-ce qu’on s’identifie avec des fermes bio intensives locales? Oui, parce que c’est important. Est-ce qu’on travaille avec des gens qui possèdent 100,000 hectares? Oui, parce qu’un changement à cette échelle-là, c’est vraiment quand même beaucoup plus important au niveau de l’écosystème, au niveau de la séquestration de carbone, au niveau des services écologiques que sur une acre.

«Pour arriver à un changement de paradigme de nos écosystèmes, il faut parfois mettre les différences de côté et collaborer, échanger et partager les connaissances et savoir-faire entre nous.»  Antonious Petro, Régénération Canada

Des obstacles à différents niveaux freinent le processus de transition.

Chaque partie prenante a un rôle à jouer. Dû à cela, on constate que différents défis doivent être relevés afin de pouvoir faire passer le message à tous les groupes impliqués.

«Pour arriver à un changement de paradigme de nos écosystèmes il faut parfois mettre les différences de côté et collaborer. Il est important d'échanger et partager les connaissances et les savoir-faire entre nous» souligne Antonious. C’est au cours de ce processus d’échange que certaines parties prenantes, ancrées dans leur approche, sont moins ouvertes aux perspectives des autres. Ainsi une barrière individuelle s’érige.  

Productrice et ses outils - Crédit Nathan Jones

Le besoin de changements politiques et de ressources pour soutenir la transition.

«On a besoin d’un changement au niveau commercial, au niveau des marchés mondiaux. Il faut que les gouvernements comprennent l’effet de tel ou tel type de pratique. Il faut des campagnes de sensibilisation, des changements politiques. Mais pour ça il faut du support financier.»

Certains agriculteurs désirent apprendre et changer leurs opérations afin d’utiliser les différentes pratiques régénératrices. Pour cela, ils ont besoin d’investissement durant cette longue période de transition qui les attend. Les décideurs publics doivent penser à l’agriculture comme à un investissement à long terme. Qu’elles soient individuelles, socio-économiques, ou financières, plusieurs barrières affaiblissent la capacité de nos systèmes à outiller les personnes sur le terrain afin qu’elles puissent adapter ces outils à leur situation régionale.

«Tout commence par essayer d’avoir une vraie écoute et de se mettre à la place de l’autre avant de juger. Après, pour que chaque partie prenante joue son rôle, ça requiert des ressources et des solutions aux barrières qu’on vient de mentionner.» C’est en travaillant afin de briser ces barrières que les bienfaits de l’agriculture régénératrice pourront avoir l’impact désiré à une grande échelle.

Les nombreux bienfaits de l’agriculture régénératrice.

«Il y a beaucoup de choses à dire sur les apports liés à une gestion des terres avec une dimension régénératrice par rapport aux autres méthodes actuellement employées. Mais d’abord, pour nous, l’agriculture régénératrice ce n’est pas un changement, c’est un processus de transition. Tant qu’il y a des humains sur Terre, on aura besoin de régénérer. Ça, ça échappe beaucoup à la compréhension du monde parce qu’on est habitué comme société à avoir des cases, des définitions et des certifications. Nous, on pense que c’est un processus et ça prend vraiment plusieurs années pour parvenir à s'adapter. D’abord, l’agriculture régénératrice est un processus qui vise à penser à la production végétale et aux écosystèmes d’une façon holistique. Autrement dit, ce sont des principes et pratiques qui visent à régénérer la santé des sols pour les services écosystémiques qu’on a perdu.»

Antonious souligne que ces services écosystémiques consistent d’abord et avant tout à produire, ajouter ou augmenter la valeur nutritive de nos aliments. Ces services incluent par la suite la séquestration des carbones dans le sol qui réduit un peu la concentration de CO₂ dans l’atmosphère. On obtient ainsi une biodiversité souterraine et aérienne plus saine et une gestion de l’eau améliorée. 

Antonious Petro, co-directeur de Régénération Canada

Adapter les principes et s'adapter aux principes.

On peut alors désigner quelques principes de l’agriculture régénératrice qui sont appliqués dans une ferme. Il y a la couverture du sol, qui vise à perdre le moins de sol possible en essayant, par exemple, d’avoir un travail minimal du sol. De plus, l’intégration des cultures pérennes qui promeut d’intégrer des structures telles que des herbacées, des arbustes et des arbres. Le sol bénéficie des services écosystémiques que ces espèces procurent contrairement à l’agriculture annuelle de fruits et de légumes. De ce fait, il y a des principes adaptables, mais il y aussi des différences géographiques insurmontables.

«Ce que j’aimerai que tout le monde comprenne ensemble, c’est que les pratiques sont vraiment conditionnées par beaucoup de facteurs.  Les facteurs géo-climatiques sont très importants. Ce qu’on peut faire en Estrie, on ne peut pas le faire au Saguenay-Lac-Saint-Jean» précise Antonious. 

Que ce soient des différences par rapport au type de sol, la longueur des saisons, les types de variétés cultivées, il faut être conscient de sa propre réalité en tant que producteur et de la réalité des autres producteurs et productrices. Adapter ces principes prend des années («trois à quatre ans») et il y a un effort de discernement et de réflexion critique à faire pour comprendre quels principes et pratiques sont propices à son sol, à sa ferme. C’est là qu’on revient aux défis définis par le co-directeur de Régénération Canada. «Ça prend du support financier. Ça prend de l’éducation. Ça prend de l’accompagnement.» 

Au cours de ce processus d’apprentissage multidisciplinaire, il est possible qu’il y ait de la confusion entre différents principes et pratiques. C’est sous le concept de la régénération qu’on peut réunir tous ces principes et créer un objectif clair pour notre système agro-alimentaire. La régénération réunit la permaculture, la biodiversité ou l’agroécologie.

La régénération voit grand pour la planète.

« Il ya plusieurs principes et pratiques inter-reliés derrière le concept même de l'agriculture régénératrice. Pour tous, on parle encore de ces affaires sur la ferme. Tant et aussi longtemps qu’on ne mène pas l’agriculture régénératrice au-delà de ça, donc penser aux travailleurs, penser à notre consommation d’énergie, penser à comment on traite nos animaux... Ça va rester juste un mode d’agriculture. Par conséquent, ça ne va jamais atteindre l’objectif plus global, plus noble qui est l’atténuation des changements climatiques. Si on veut changer un système, il faut que toutes les parties du système changent en même temps. Et c’est peut-être là notre compréhension de l’agriculture régénératrice. »

«L’agriculture est responsable jusqu’à 10% de nos émissions de gaz à effet de serre liées à nos systèmes alimentaires. Transport, stockage... On parle d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre issues d’activités humaines provenant du secteur agro-alimentaire. Un tiers !» Antonious Petro, Régénération Canada

https://www.youtube.com/watch?v=H6VKb5shEpM

David McMillan, chef du restaurant Joe Beef
Les agriculteurs peuvent-ils être des champions du climat? - Régénération Canada

Faire de l'agriculture une solution à la crise climatique.

La régénération des écosystèmes en général, ça englobe tout en termes de permaculture, l'agroécologie, d’augmenter la biodiversité et on met ça dans un cadre pas moins que de sauver le monde. On veut faire de l’agriculture une solution à la crise climatique. 

On parle de changements systémiques des écosystèmes à régénérer le sol tout en gardant devant nos yeux que le but c’est quand même d’avoir un impact ou une empreinte écologique positive de l’agriculture. Ce n’est pas du tout le cas aujourd’hui. L’agriculture est responsable jusqu’à 10% de nos émissions en gaz à effet de serre liées à nos systèmes alimentaires. Transport, stockage... On parle d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre issues d’activités humaines provenant du secteur agro-alimentaire. Un tiers.

Et la distinction parfois, elle est géographique. Par exemple, le mot agroécologie est beaucoup plus présent en Amérique latine ou en France qu’ici. Au-delà de ces petites différences là, le mot régénération implique qu’on ne cherche pas de solutions faciles. On ne remplace pas les terres contaminées par des colonnes fertiles qu’on amène des tourbières. On travaille avec ce qu’on a pour redonner la vie, pour faire de la régénération dans le but de donner plus que ce qu’on a exploité de nos terres. Toutefois, il est est possible que quelqu’un d’autre dise quelque chose de différent. Mais pour nous, ça englobe tous ces mouvements-là parce que dans nos principes de gestion régénératrice, il y a beaucoup de principes de permaculture.

L'organisation et la revalorisation de savoirs ancestraux.

«Dans le fond, l’agriculture régénératrice, c'est l’organisation et la revalorisation de savoirs ancestraux, mais qui est aussi appuyée et supportée par la science moderne. Donc il y a beaucoup de principes pratiques en commun avec d’autres mouvements, mais ce n'est pas grave. C’est encore mieux. Pour nous, c’est vraiment le chapiteau qui englobe tout ça ensemble parce que justement ça va au-delà de la ferme, au-delà de la production végétale annuelle. Ça prend la régénération de systèmes forestiers, de tourbières, de milieux humides et de sols agricoles.»

C’est en adoptant la régénération en tant que solution holistique qu’on comprend que nous avons besoin d’une régénération libre de jugement de l’autre et intégrée par des parties prenantes mutuellement conscientes de la réalité dans leur secteur au Canada. Antonious conclut: «Je ne dirais jamais assez, ça prend une régénération de la société donc la ferme, l’entreprise, le gouvernement, nous-même à l’intérieur de notre ménage. Pour nous, c’est ça la vision, la régénération de tous les écosystèmes.»

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William Fall aime mettre sa plume au service de la culture, de la science et de l'alimentation. C'est donc tout naturellement qu'il vous partage ses découvertes et ses rencontres sur le blog Arrivage.