Ce que manger veut dire
Le titre de cet article reprend le titre d’une lecture qui a marqué mon esprit il y a quelques années déjà. Il semble être le titre adéquat pour un premier article timide et encore incertain. Timide et incertain d’abord parce que le sujet est vaste et personnel. Notre alimentation est un sujet sensible. Trop sensible pour avoir la prétention d’en faire le tour dans le volume de mots que permet un article de blog. Trop sensible pour espérer le couvrir d’une objectivité à toute épreuve. Qu’à cela ne tienne, voici une ancre, un point départ à l’expression spontanée sur un sujet certes sensible, mais trop peu défendu à l’heure actuelle.
Il est pour cela plus que jamais temps de défendre cette question essentielle à l’avenir de l’humanité puisque l’heure est précisément celle de l’irréversible. C’est comme si, à travers le prisme de l’alimentation, nous pouvions observer le sombre portrait d’un monde en effondrement. Il n’est pas nécessaire de regarder trop loin pour voir les conséquences de nos modes de consommation sur l’ensemble de nos sociétés. De notre santé, à celle de notre planète, en passant par des questions fondamentales de démocratie. Notre nourriture alimente bien plus que nos corps. Elle pose son empreinte indélébile sur le monde.
Paradoxalement, tandis qu’une partie du monde meurt de maladies cardiovasculaires provenant en grande partie de la malbouffe, l’autre souffre de malnutrition chronique lorsqu’elle n’est pas frappée de famines tragiques. Plus tragique encore est la répartition des richesses qui pousse la première partie à gaspiller depuis des décennies des quantités phénoménales de nourriture à toutes les étapes de la chaîne dans l’indifférence la plus totale des injustices sociales, à commencer par nos propres villes.
Ensuite, alors que nous mangeons bien au-delà de nos besoins caloriques journaliers, la question qui se pose est la suivante : de quoi nous nourrissons-nous ? Ce qui atterrit dans notre assiette est plutôt inquiétant sur le plan nutritionnel comme sur le plan environnemental, tous deux intimement liés. Nos aliments hyper-transformés, ont presque perdu toutes leurs propriétés nutritives. Pire encore, gorgés de sucres, de gras, d’éléments chimiques en tous genres jusqu’aux traces parfois importantes de pesticides, nos aliments apparaissent comme une bombe à retardement pour notre santé et celle de nos enfants.
En parallèle à ce constat, les cultures, les élevages et la pêche se sont industrialisés au fil des décennies pour produire des quantités pharaoniques d’aliments devenus des biens de consommation comme d’autres sur un marché international. Les écosystèmes, la biodiversité, l’air, les cours d’eau comme les océans en subissent les dommages collatéraux compromettant par là-même, la capacité de notre planète à régénérer ses ressources irrémédiablement polluées ou épuisées.
Et si ces modèles intensifs et extractivistes de productions ont pour effet d’homogénéiser nos aliments, de les appauvrir et de les contaminés, ils sont en plus source d’une vulnérabilité plus préoccupante encore. En éliminant les barrières génétiques qu’imposait naturellement la biodiversité en misant sur une poignée de plantes et d’animaux d’élevages, les industriels exposent la planète toute entière à la contagion de maladies ou champignons aux conséquences potentiellement dramatiques pour l’humanité.
Cependant, devant ce tour d’horizon inquiétant de nos systèmes alimentaires persiste encore et toujours une portion d’humains qui font le choix de cultiver et produire des aliments de qualité qui respectent les écosystèmes, les animaux et leurs semblables. Toujours à la recherche d’un certain plaisir à partager le fruit de leur passion, ils perpétuent des modèles ancestraux hérités tout les revisitant pour, à leur tour, transmettre aux générations suivantes. Face à la concurrence mondialisée, ils résistent pour donner du sens et du goût à ce que l’on mange, ils résistent pour nourrir les humains et les cultures, ils résistent parce qu’ils savent la véritable valeur de ce qu’ils produisent.