Article publié le
12/4/2024
Billet

Mise bas à la ferme impossible - Chroniques de La Ferme impossible

Explorez les saisons agricoles à travers les yeux de Dominic Lamontagne, qui nous emmène dans un voyage captivant au cœur de la vie à la ferme. Dans cette série d'articles, Dominic Lamontagne met en lumière l'importance vitale d'une alimentation durable et responsable, célébrant le travail essentiel des agriculteurs artisans. Plongez-vous dans ces récits pour redécouvrir le lien précieux entre notre nourriture, notre santé et notre planète.

Retrouvez l'article précédent de Dominic Lamontagne ici : Dehors les poules !


À la ferme, mon emploi du temps alterne, tel un pendule, entre le principe et la pratique; les mains dans la terre, tic!, le nez dans les livres, tac!

L’omniculture responsable, voilà comment, dans La chèvre et le chou (Écosociété, 2022), j’ai baptisé le type d’agriculture que je pratique et défends depuis une quinzaine d’années maintenant. C’est une agriculture diversifiée, polyvalente, aux méthodes de culture et d’élevage pérennes, donc responsables.

Parce que l’omniculture responsable embrasse la biodiversité dans son ensemble, elle fait corps avec la nature, s’y enracine, la solidifie. À l’inverse, une agriculture intensive irresponsable, fondée sur une économie techno-scientifique, grande productrice d’ersatz, extractiviste, colonialiste et mortifère, l’effrite.

Nous ne faisons pas qu’exploiter une parcelle, nous bâtissons notre coin de pays. Nous pratiquons une paysannerie omnicole. Et parce qu’elle se fait simplement, sans grands moyens techniques, notre paysannerie est polyvalente, passe-partout.

Grâce à quelques outils, à la terre, la pluie, le soleil et les bêtes, la paysannerie nourrit, loge et habille. Le paysan fait corps avec son environnement, s’y enracine, le solidifie. N’est-ce pas ce dont nous avons besoin en cette période d’effritement?

Il y a quelques semaines, une de nos chèvres a mis bas. Parce que nous dormons la fenêtre ouverte en cette période de chevrotage (action de mettre bas, en parlant de la chèvre), nous avons entendu les cris du premier chevreau naissant vers 3h du matin. Nous sommes allés y voir, «flashlight» à la main; un beau chevreau tout neuf! Il ne fait pas trop froid, la mère le nettoie à l’aide de sa langue, tout va bien. Au bout d’un moment, le second ne venant pas, Amélie va voir de plus près et comprend peu à peu le problème: le chevreau arrive siège devant, ce qui n’est pas de bon augure.

Elle doit prendre les choses en main pour qu’on ne perde pas mère et enfant. En dix ans, c’est la première fois que nous faisons face à une telle situation mais Amélie sait à peu près ce qu’il faut faire: seconder les efforts de la mère en dénouant les pattes arrière du chevreau puis en tirant un peu quand la bête pousse. Une dizaine de minutes plus tard, le deuxième chevreau est libéré, il respire, tout le monde est sauvé. Quelques instants après, la chèvre accouche d’un troisième et dernier bébé. Deux mâles, une femelle en tout.

Lorsqu’elle accouche, la chèvre se met à produire du lait. Ici à la ferme, ce lait est d’abord réservé à la progéniture; jusqu’au début juin environ. Ensuite, ce sera à notre tour de se servir. Grâce aux trois litres que nous trairons quotidiennement, nous ferons des fromages et un tas de plats à base de lait. Qui plus est, la plupart des chevreaux seront abattus pour nous permettre de faire provision de leur délicieuse viande. Ainsi va la vie à la ferme impossible.

En somme, je le répète souvent, rien d’aussi miraculeux que ces ruminants qui transforment de l’herbe en lait et en viande. Ce n’est pas pour rien que l’élevage compte parmi les moyens de subsistance de 1,7 milliards de paysans omnicoles dans le monde, qu’il joue un rôle économique crucial pour environ 60 % des ménages ruraux dans les pays en développement et que l’élevage vivrier et la pêche vivrière représentent la principale source de protéines pour quelque 3 milliards d’omnivores sur Terre.

Artisan fermier et auteur militant, Dominic Lamontagne exploite une petite ferme de production vivrière avec sa famille à Sainte-Lucie-des-Laurentides. Il milite en faveur d’une omniculture responsable. Il est l’auteur de La ferme impossible (2015), de L’artisan-fermier (2019), co-auteur de La chèvre et le chou (2022) et a participé au film documentaire La ferme et son État (2017) de Marc Séguin.