SAPERE AUDE! - Chroniques de La Ferme impossible
Explorez les saisons agricoles à travers les yeux de Dominic Lamontagne, qui nous emmène dans un voyage captivant au cœur de la vie à la ferme. Dans cette série d'articles, Dominic Lamontagne met en lumière l'importance vitale d'une alimentation durable et responsable, célébrant le travail essentiel des agriculteurs artisans. Plongez-vous dans ces récits pour redécouvrir le lien précieux entre notre nourriture, notre santé et notre planète.
Retrouvez le chapitre précédent de la série de Dominic Lamontagne ici : Ominiculture : cultiver l'abondance et la résilience.
« Sapere aude! Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Telle est la devise des Lumières » rappelait Emmanuel Kant à la fin du 18e siècle dans Qu’est-ce que les Lumières? Deux cent cinquante ans plus tard, Bertrand Louart (Réappropriation, La Lenteur) appuie :
« L’homme moderne, qui a parfaitement intégré la discipline du travail imposée par les machines, attend tout de l’économie, de l’État et des dispositifs qu’ils mettent à son service. Il réclame parfois bruyamment et avec colère que ces différentes puissances qui lui sont extérieures, qui le dépassent et le dominent, prennent en charge son existence tout en le protégeant des conséquences néfastes de sa dépendance à leur égard… Son imagination est tournée vers de nouvelles dispositions administratives et légales, de nouveaux appareils et machines, de nouvelles technologies qui lui épargneraient tout effort de connaissance, de conscience et d’activité personnelle. Bref, il réclame un monde qui ne soit plus troublé par les manifestations intempestives d’individus autonomes ou de la nature vivante. »
Il y a quelques semaines, une centaine de poussins bigarrés ont éclos à la ferme. Cette cohorte sera élevée au pâturage, jusqu’à l’automne, puis abattue ici, de nos propres mains. La plupart des poulets iront rejoindre, au congélateur, la viande et le fromage de chèvre qui y seront déjà. Produire son propre lait, c’est nécessairement se retrouver, fin mai début juin, avec des chevreaux à abattre.
Contrairement à ce qu’on puisse croire, il ne s’agit pas là d’une besogne pénible mais d’un travail nécessaire qui nous garantit une certaine autonomie élémentaire. Abattre ses bêtes, surtout lorsqu’elles sont nées à la ferme, c’est récolter le fruit d’un long labeur. Et c’est accepter de prendre en charge sa subsistance.
Nous habitons en pleine forêt. Il y a des lacs et des cours d’eau. Peu d’asphalte et beaucoup de végétation. Au printemps, c’est « noir de mouches ». Des nuées de petites mouches piqueuses. Lorsqu’à cette période de l’année nous devons abattre une bête, nous allumons d’abord un feu de croutes. Un feu de boucane. Les croutes sont ces retailles produites lorsqu’on équarrie des troncs d’arbres pour en faire du bois de construction.
Lorsqu’on les brûle, les croutes humides de bois résineux produisent beaucoup de fumée qui éloigne les mouches. Aujourd’hui nous brûlons de vieilles croûtes, mais nous en produisons de nouvelles chaque année, comme ce fut le cas en début de semaine alors qu’André, le scieur ambulant du village, est venu transformer en belles planches épaisses notre quarantaine de billes de sciage. Récoltées sur une parcelle que nous nettoyons pour en faire un nouveau pâturage, nos billes proviennent d’arbres cassés ou déracinés par le vent; elles nous procurent la majeure partie du bois de construction dont nous avons besoin à la ferme.
Le printemps vient à peine de commencer et déjà c’est l’abondance : de la viande, du lait, des œufs, des planches, de la livèche, de la menthe, des asperges et de la ciboulette. Viendront bientôt les primeurs, laitues, radis, épinards, bok choy et compagnie. Tout ça ne s’obtient pas sans rigueur, mais l’énergie que nous y mettons nous est bien rendue. À la ferme, c’est donnant-donnant.
Découvrez le texte suivant de Dominic Lamontagne : Le coup de grelinette - Chroniques de La Ferme impossible.